« L’image »
Publié le 20/09/2019
Extraits de l’exposition sur le centenaire de la guerre de 14-18 à la Briqueterie de Montmorency.
L’engagé volontaire
Publié le 20/09/2019
« L’engagé volontaire »
Je suis un étranger, un ami de la France
Immigré polonais j’ai appris à l’aimer
Quand je suis arrivé elle m’a donné ma chance.
En 1914 je me suis engagé.
Sans calcul, et sans doute, j’ai quitté mes parents
Rejoint les Italiens, et de nombreux Hongrois
Grecs, Syriens, Arméniens, Juifs partis en chantant
Défendre le pays dans les tranchées d’Artois.
D’abord le nez au vent puis crevant de misère
J’ai rencontré Ahmed, devenu fantassin
Engagé volontaire sous la menace du maire
Il a quitté l’oued, pour un conflit lointain.
Le maire l’avait contraint, sûr que la République
Reconnaîtrait leurs droits aux fils colonisés
Ahmed avait vingt ans et l’idéo-logique
N’évoquait rien en lui qu’une vague absurdité
Quand une balle a percé le haut de sa poitrine
J’ai crié, forcené, qu’ils n’avaient pas le droit.
Quand un second obus a soufflé ma narine,
J’ai craché, gueule cassée, mon visage et ma foi.
Peinture de Christine Lamouroux.
Sur la plage
Publié le 20/09/2019
« Sur la plage »
Sur la plage un enfant
Tout couvert de marée
Du fond de ses trois ans
Écoute nos démêlés
Guerre des mots, ou d’images,
Qui sont-ils, demandons-nous
Qu’importe à présent
C’est un peu indécent.
Pour un bon peu d’argent, d’espoir,
Et encore plus de crainte
Son père l’avait assis à l’avant du canot
Sa mère le tenait chaud, tentait de se convaincre
Qu’ils fuyaient le chaos.
Réfugiés ou migrants ?
Ils étaient fugitifs.
Pour survivre au tourment
C’est déjà beau, l’esquif.
La mer a des caprices, le rafiot des fissures
Leur risque est de mourir, leur sort est accompli.
Sur le sable le père reconnaît l’enfant endormi.
C’est affreux c’est indigne c’est triste c’est pas d’chance
C’est dommage
C’est truqué
Chacun dit comme il pense
On s’enflamme à vil prix
C’est la vie
La première mouche s’affaire
Je retourne à mon dîner.
Bellecoste
Publié le 20/09/2019
« Bellecoste »
Les genêts calcinés
Dans la bruyère courte
Les blés verts ondulant
Sous le vent forcené
Il a plu sans relâche
Et fait tempête sourde
Les cèpes et les bolets
Sans doute ont essaimé.
Un chêne torturé
Se rebelle sur la lande
Qui mène au hameau
Granitique et trapu
La cloche de l’église sonne
Et comme en écho chante
L’aigre grelot des vaches
Déjeunant d’herbe drue
L’âne au loin brait sans fin
Animal de misère
Mais jamais il ne court
Et de son pas austère
Arpente le chemin
Un jour de fin d’été des chercheurs de parole
Traversent la hêtraie
Des marcheurs sur la draille dans un midi d’automne
Rêvent de transhumer.
Guerre
Publié le 09/09/2019
Extrait de l’expo briqueterie :
« Guerre »
Dis-moi pourquoi t’es v’nu ici
Porter la guerre dans mon pays
De mon enfance je n’ai connu
Que des bruits sourds, des sons d’obus
Comme toi j’aurais aimé, enfant,
Me promener en rigolant,
Prendre un baiser sous le lilas,
Au lieu d’un tir dans le tibia
Tomber d’amour sous les auvents
Et pas d’une balle d’vant mes parents.
Dis-moi pourquoi tu restes ici
On crève de faim tu t’réjouis
Nos armes chimiques que tu cherchais
C’est de l’or noir qu’ tu convoitais.
Dis moi pourquoi au monde entier
Tu as menti pour triompher
Piller mon âme, tarir mon sol
Faire de ma ville une nécropole
Dis moi pourquoi tu es venu
Porter un mot, le marchander,
Mais moi ce mot, que t’as renié
Il me fait honte, il m’humilie
« Et après »
Publié le 08/09/2019
« Et après »
Enfin quelques paires d’heures d’un sommeil continu
Les salves se tarissent, mes poumons se dilatent
Les frissons s’amenuisent, ma fièvre s’évacue
Jamais plus je le jure je ne voudrai combattre
La rue pétrifiée est rendue au silence,
Oublie les mitraillettes, je compte les absences.
La guerre civilisée, préventive belle connerie
A épuisé mes rêves, a détruit ma famille
Je vais partir un jour vers Paris-liberté.
J’y trouverai dit-on vermine matelas déchets.
« Clin d’oeil aux écoliers »
Publié le 01/09/2019
« La rentrée »
Pluie volage, pluie de rage
Frappe la fenêtre, fouette la page
La page de mon journal d’enfant.
J’attends demain en l’espérant
J’attends demain en le craignant.
Comme tous les ans, à la rentrée,
S’égrènent, dehors, sans s’en douter,
Les dernières, amères, saveurs de l’été.
Shorts blancs sur mollets bronzés,
Dévoilés au premier clin d’œil d’un soleil, lassé
de trouer les nuages, pluie sauvage.
J’attends demain et, pour me faire patienter,
Mon père, ma mère, ma sœur, un inconnu peut-être,
m’ont offert un plumier.
J’attends demain en le reniflant,
ce plumier rouge, trésor d’enfant.
Une fermeture, dorée et chaude,
le découvre en crissant, et sonne le nouveau départ
d’une année scolaire mi-blanche mi-noire
qui ira, s’effilochant, de l’hiver noir au printemps blanc.
Mais ce soir, l’odeur si tendre
du cuir neuf, la couleur si vive
des crayons, gardiens de ma future attention,
portent l’espoir d’un automne aimable
fait d’amitiés naissantes et d’odeur de feuilles pourrissantes.
J’attends demain avec confiance,
J’attends demain avec méfiance.
Demain je reverrai
Celles qui furent mes amies
Rivales parfois, rarement ennemies,
Leur sourire, leur dédain,
Donneront à la rentrée le prix
Que j’accorde ce jour à cette année scolaire,
A l’enfance qui fuit.
Mais demain je partirai
C’est sûr pour l’allégresse,
Je caresserai les pages de tant de livres offerts
A ma toute jeune voracité
Je me vautrerai sans vergogne dans les poèmes difformes
Dans les sagas épiques
Et les romances borgnes.
Ils seront mon plaisir, ma planche de salut,
Mon refuge de sens, ma presqu’identité.
Demain je quitte ma solitude de l’été
J’entre dans ma jeunesse par les livres enivrée.